http://www.lefigaro.fr/vert/2008/12/22/01023-20081222ARTFIG00474-les-oceans-intoxiques-par-le-gaz-carbonique-.php
Pierre Kaldy
26/12/2008 |
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Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
L'augmentation continue du CO2 dans l'atmosphère entraîne le réchauffement de la planète mais aussi l'acidification des océans. Certains organismes marins commencent déjà à en souffrir sérieusement. Quelques semaines après que 190 pays se sont réunis à Poznan, en Pologne, pour négocier l'application des accords de Kyoto pour lutter contre le réchauffement climatique, des chercheurs américains montrent pour la première fois que le gaz carbonique dissous dans les océans commence déjà à modifier les écosystèmes marins, avec une réduction notamment des moules dans certains secteurs de l'ordre de 30 %.
Durant huit ans, les chercheurs de l'Université de Chicago ont étudié la répartition des organismes vivant dans la zone de marée sur l'île Tatoosh, près de Seattle, dans le Pacifique. Parallèlement, un appareil mesurait la salinité, la température et l'acidité de l'eau, effectuant ainsi le plus long enregistrement continu de ces paramètres en zone côtière tempérée. Les résultats de l'étude, publiés tout récemment dans les comptes rendus de l'Académie nationale des sciences américaine (1), ont surpris tous les spécialistes. «Nous avons observé une augmentation de l'acidité dix fois plus rapide que celle prédite par les modèles, indique J. Timothy Wootton, premier auteur du travail. Et de tous les paramètres étudiés qui pouvaient être liés à ce changement, seule la concentration en gaz carbonique atmosphérique évoluait de la même manière.» Or, la dissolution du gaz carbonique dans l'eau augmente son acidité.
L'autre surprise de l'étude est la grande sensibilité de certains organismes à cette augmentation d'acidité : beaucoup d'espèces fixant le calcaire, telles que les moules, les algues calcaires et certains crustacés, commencent déjà à régresser sur le littoral.
Concentration critique «En moins de dix ans, nous avons observé une réduction des moules qui doit être globalement de 30 %, précise Timothy Wootton, et cela dans un environnement que l'on peut retrouver le long de toute la côte pacifique, du sud-est de l'Alaska au sud de la Californie.» Jusqu'à présent, seules des mesures faites en laboratoire ou dans des conditions naturelles particulières avaient montré la sensibilité d'organismes marins à l'augmentation du gaz carbonique dissous. «Mais ici, pour la première fois, il s'agit d'observations sur le terrain, qui portent de plus non sur une seule espèce mais sur tout l'écosystème côtier», commentent Jean-Pierre Gattuso et Laurent Bopp, spécialistes français respectivement au laboratoire d'océanologie de Villefranche-sur-Mer (CNRS - Université Paris-VI) et à l'Institut Pierre-Simon-Laplace des sciences de l'environnement à Paris.
Coorganisateur du deuxième congrès international sur la question, qui s'est tenu en octobre dernier à Monaco, Jean-Pierre Gattuso souligne que les signaux alarmants d'acidification affluent maintenant de tous les coins du globe. Dans l'océan Antarctique, où les eaux froides et ventées sont propices à la dissolution du gaz carbonique, les analyses effectuées en pleine mer depuis dix ans par une équipe australienne révèlent une solubilisation progressive du calcaire. Selon eux, elle va devenir problématique pour une grosse partie du zooplancton dès 2030, lorsque la concentration critique en gaz carbonique atmosphérique de 450 ppm (parties pour million) sera franchie. «Cette disparition du zooplancton aura des conséquences incalculables sur tout le réseau alimentaire des océans polaires, s'inquiète Jean-Pierre Gattuso. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé pour 2009-2010 la campagne d'étude européenne Epoca (European Project on Ocean Acidification) et que les Américains s'apprêtent à faire de même.»
Bien plus au sud, dans le vaste espace des Caraïbes, les chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) tirent eux aussi la sonnette d'alarme : là encore, la solubilisation du calcium n'a cessé d'augmenter ces dernières années et menace de bientôt perturber la calcification des nombreux récifs coralliens de la région. Et ils montrent que ce changement est directement en rapport avec l'augmentation du gaz carbonique dissous dans les eaux tropicales.
AcidificationEn Australie, la fixation du calcium dans la Grande Barrière de corail a chuté de 21 % en seize ans, une première depuis des siècles, selon une étude du gouvernement australien publiée cette année. Outre les effets néfastes du réchauffement et de la pollution sur la croissance des coraux, l'acidification due au CO2 dissous pourrait aussi en être la cause, estiment les chercheurs.
Depuis deux siècles, les océans ont patiemment absorbé le tiers des émissions de gaz carbonique dues à l'homme, mais cette capacité semble avoir atteint ses limites. «Une augmentation aussi forte et aussi rapide de l'acidité des océans ne s'est pas produite depuis plus de 20 millions d'années au moins, prévient Jean-Pierre Gattuso. Nous savons que toute augmentation supplémentaire du gaz carbonique atmosphérique affecte désormais profondément la vie dans les océans.»